Beaucoup le découvrent en 2008, avec The Way I See It, troisième pièce d’une discographie encore trop méconnue, qui impose son nom dans le monde entier à travers un hommage à ses pères spirituels et au son Motown avec lequel il a grandi. Si cet album marque un tournant dans la carrière de Raphael Saadiq, l’artiste peut pourtant se targuer d’évoluer sur la scène hip-hop/soul depuis plus de 20 ans. De ses débuts en 1988, au sein du groupe Tony! Toni! Tone! (avec qui il sort 4 albums), à son premier solo, l’incontournable Instant Vintage, véritable petit bijou de Neo Soul qu’il publie en 2002, sans oublier Dawn Robinson et Ali Shaheed Muhammad avec qui il forme Lucy Pearl et connait ses premiers gros succès à l’échelle internationale (“Dance Tonight”, “Don’t Mess With My Man”), Raphael Saadiq présente une carrière exemplaire et un riche répertoire auquel vient s’ajouter, en Mars dernier, un quatrième opus, Stone Rollin, où le chanteur poursuit son voyage dans le temps.
En visite à Paris, où il donnait deux concerts à guichets fermés dans le cadre de sa tournée européenne, SoulRnB.com a eu l’immense honneur de rencontrer celui qui fût un temps dans l’ombre, alignant les productions et compositions pour ses confrères D’Angelo, Q-Tip, Jill Scott, Kelis, The Roots, Mary J. Blige ou encore Joss Stone, avant de passer à son tour sous les spotlights…
Bonjour Raphael, comment vas-tu ? Salut SoulRnB, ça va et vous ?
Contents d’être là ! Raphael, tu œuvres sur la scène Soul depuis de nombreuses années maintenant. Nous t’avons découvert au sein du groupe Tony! Toni! Tone! dans les années 80. Aujourd’hui, tu comptes 4 albums solo à ton actif et une pléiade de collaborations… S’il y a bien un compliment que l’on peut te faire, c’est d’avoir su durer et te renouveler tout au long de ta carrière, sans avoir peur de te lancer de nouveaux challenges. Penses-tu pouvoir encore faire évoluer ta musique ? Et bien pour tout te dire, je ne suis pas certain de le savoir moi-même… Qui connait la réponse ? Je tente de faire les choses le plus naturellement possible, sans trop préméditer. Depuis toujours, je suis profondément amoureux de musique. Pour moi, elle est synonyme de liberté. Je fais ce que j’aime, sans m’imposer de limites. J’ai baigné dans la musique dès mon plus jeune âge et ai commencé à jouer très tôt. Mes parents m’ont laissé grandir avec cette passion sans jamais rien forcer ou au contraire m’interdire. Ils ne m’ont jamais dit que je ne pouvais pas jouer de guitare ou que je ne devais pas y toucher. Du coup, j’ai grandi avec cette liberté d’initiative et la musique fait partie de moi depuis toujours. Je pense que c’est ça mon inspiration et je continuerai de faire de la musique jusqu’à n’en plus pouvoir.
Beaucoup t’ont découvert en 2008 avec l’album The Way I See It, qui a rencontré un large succès en Europe et particulièrement ici, en France, t’attendais-tu à ce succès ? Je savais que l’Europe appréhenderait l’album avant les Etats Unis. Je crois que les européens sont beaucoup plus ouverts. Les américains sont trop… Hum, ils ont très bien accueilli mon disque eux aussi, mais pas autant que l’Europe. Peut être parce qu’ils avaient déjà eu autre chose de similaire. Avant moi, il y a eu Amy Winehouse qui est arrivée avec quelque chose de très différent de ce que l’on pouvait entendre sur les ondes à l’époque. Maintenant, il faut savoir que mon album était prêt 2 ou 3 ans avant que ne sorte le Back to Black d’Amy Winehouse. Donc ce qui a pu être perçu comme “suivant une tendance” ne l’était pas forcément puisque j’avais déjà The Way I See It avant le succès de l’album d’Amy Winehouse. Tu sais, j’ai toujours baigné dans la Soul music. A 4 ans, les premières chansons que j’ai écouté étaient estampillées Motown : les Temptations, les Jackson 5 et surtout, James Jamerson, dont je suis fan depuis des années (ndlr, illustre bassiste de la Motown qui a beaucoup influencé Raphael Saadiq). C’est la première musique que j’ai écouté, c’est aussi la première musique que j’ai appris à jouer, et j’ai toujours eu pour ambition de réaliser quelque chose reprenant cet héritage, rendant hommage à cette musique. Ca m’a simplement pris un peu de temps parce que je savais exactement où je voulais aller et ne pas me louper. C’est la raison pour laquelle j’ai appelé l’album The Way I See It. Parce que c’est comme ça que je vois la musique, c’est ainsi que je la ressens et je désirais mettre tout le monde dans la confidence, “Hey écoutez, c”est CA, pour moi, la Musique. C’est comme cela que je l’entends. C’est comme ça que je vois les choses, que je m’habille même” (rires). La musique n’a pas forcément besoin d’être ancienne pour être cool, tu vois (rires) ? Je suis donc vraiment fier de cet album et très reconnaissant de l’accueil qu’il a reçu.
Ton nouvel album Stone Rollin, sorti en Mars dernier a cette emprunte vintage lui aussi. Ce n’était donc pas une simple parenthèse, pourquoi avoir choisi de continuer dans cette voie ? Oh et bien… J’ai continué dans cette direction parce que cette musique a un vrai impact sur les gens. C’est une musique vivante, qui nous fait danser, bouger différemment, et peut être penser différemment. Tout est question de ça dans l’album. J’ai pris du plaisir à l’enregistrer, je prends encore plus de plaisir à le défendre sur scène, où je peux interpréter mes chansons avec fantaisie et m’éclater. C’est une musique qui touche vraiment les gens, donc en fin de compte, tout le monde passe du bon temps. C’est comme un jeu où l’on va tous s’amuser, artiste, musiciens, public. C’est une musique qui fait ressentir des choses, des émotions, et c’était très important pour moi de faire un album dans ce sens. Stone Rollin est pour moi un album fun.
Il y a tout ce monde sur la pochette de l’album et notamment cette fille avec sa bulle de chewing-gum. Pourquoi avoir choisi cette photo pour ton album ? Toujours en lien avec cette atmosphère “fun”, j’imagine (rires)… Ouais (rires) ! A l’enregistrement de Stone Rollin, il y avait souvent du monde quand je jouais dans le studio. Ils faisaient tous quelque chose de différent pendant qu’Alex Prager (ndlr, photographe qui a réalisé tout le shooting promo de Stone Rollin) prenait les photos. Il a pris des photos de tout le monde sous des angles très différents. Au moment de choisir parmi les clichés quelle photo deviendrait la pochette de l’album, je vois cette fille en train de souffler une énorme bulle de chewing-gum… J’ai dit “Ok, c’est bon, c’est celle-ci que je veux” (rires). Je pense qu’elle retranscrit bien la couleur de l’album, le contexte dans lequel il a été fait.
Stone Rollin a donc été entièrement enregistré en live…Oui, j’avais besoin de cela. Après avoir passé autant de temps sur scène pour la promo de The Way I See It, j’avais besoin de retrouver l’énergie du live, j’avais besoin de retrouver les mêmes sensations, d’avoir ce même son.
Tu t’es d’ailleurs entouré de musiciens reconnus : Larry Dunn, du groupe Earth, Wind & Fire ou encore Robert Randolph. Pourquoi eux ? Comment ça s’est passé ?Robert Randolph (ndlr, du groupe Robert Randolph & the Family Band), est un guitariste avec qui je voulais travailler depuis très longtemps. C’est un musicien de génie avec un super feeling et beaucoup de charisme. Il maitrise parfaitement son instrument et j’avais besoin de quelqu’un qui fasse sonner mes chansons mieux que quiconque, mieux que je n’aurais pu le faire du moins (rires), avec cette touche funky qui lui est propre. C’était l’homme qu’il me fallait. Quant à Larry Dunn, c’est un ami très proche et une grande source d’inspiration personnelle depuis que je suis petit. Il est talentueux et très intelligent, tous ces moments passés au studio avec lui étaient incroyables.
J’ai eu un vrai coup de cœur pour ton deuxième single, “Good Man”, qui est une chanson tellement puissante… Une chanson très sombre aussi, qui tranche avec l’atmosphère générale de ton disque. Peux tu nous raconter la genèse de la chanson ? “Good Man” raconte l’histoire d’un homme et de sa femme, éperdument amoureuse de lui. Un jour, la roue tourne, la femme rencontre un autre type et commence à mentir à son époux, puis elle le trompe avant de finalement demander le divorce et le quitter. C’est l’histoire d’un homme bon, honnête, trahi par la femme de sa vie. L’histoire est basée sur des faits réels puisque cet homme est l’un de mes amis. J’avais vraiment envie d’écrire une chanson à propos de son histoire.
Quel est ton titre préféré sur Stone Rollin ? “Over You” est un titre que j’aime beaucoup. Il a ce petit quelque chose de différent. Je me suis inspiré des Beastie Boys dans la manière d’interpréter le titre. Ils ont un truc vraiment unique de ce côté là et j’avais envie, un jour d’essayer quelque chose dans ce délire, avec ce même dynamisme.
Tu as un background impressionnant, j’aimerais, si tu es d’accord, que l’on revienne ensemble sur ces différentes étapes qui t’ont amené là où tu es aujourd’hui : les débuts avec Tony! Toni! Tone!, Lucy Pearl, ton premier solo, la consécration avec The Way I See It… Si tu devais résumer en quelques mots chacune de ces expériences ou nous donner ton meilleur souvenir… Tony! Toni! Tone! : je repense surtout à ces bons moments passés en tournée avec le groupe. C’est aussi mon premier pas dans la musique, la première fois que je m’entends à la radio. Et la première fois qu’un artiste entend sa chanson sur les ondes, ça le marque à vie ! C’est un souvenir magnifique. Je me souviens, j’étais avec mon frère et un ami quand j’ai entendu notre premier titre à la radio, une expérience gravée à jamais dans ma mémoire. Lucy Pearl : je retiendrais surtout Shaheed, du groupe A Tribe Called Quest. Le fait d’avoir pu collaborer avec lui, qu’il soit l’un de mes partenaires, c’était énorme. Instant Vintage marque le début d’une nouvelle “vie”. Je me souviens de la peur. Le public me connaissant à travers des groupes, j’étais dans le flou total quant à l’avenir de ma future carrière solo. Quand j’ai enregistré le disque, je ne réalisais pas du tout que j’étais en train de bosser sur mon premier projet solo (rires) ! A ce moment, tu ne connais pas encore ton public, tu ne sais pas à quoi t’attendre puisque tu repars presque de zéro. Tu ne sais pas quand ta carrière va vraiment démarrer. Par conséquent, tu es d’autant plus investi. Sur les derniers morceaux enregistrés, qui sont d’ailleurs mes préférés, j’ai donné le meilleur de moi même pour avoir un résultat dont je sois le plus fier possible. J’étais à la fois un peu effrayé, car dans l’inconnu, passionné et impatient de sortir ce projet. The Way I See It : je me suis vraiment concentré pour concevoir un album qui se rapprocherait au mieux d’un film. J’ai essayé d’intégrer toutes les émotions, tous les sentiments propres à l’humain. C’était ça l’inspiration, une BO de la vie où l’on retrouve un maximum d’émotions, comme dans un bon film. C’est dans cette optique que j’ai enregistré l’album et j’en garde un super souvenir. Qu’il ait cartonné en Europe et aux States rend ce souvenir encore plus intense car cela signifie que le message est passé, que les gens ont ressenti l’album et toutes ses sensibilités.
J’ai conçu Stone Rollin d’une manière différente. Après le succès de mon troisième album, je devais impérativement revenir. Et vite ! Quand la chance est là, il faut la saisir. The Way I See It m’a apporté une reconnaissance médiatique et populaire, il fallait profiter de cet élan. J’étais si pressé de retrouver mon public, je ne voulais pas attendre trop longtemps pour sortir l’album. Donc on s’est mis au boulot très vite et Stone Rollin est né. J’ai tout mis dans cet album, j’ai sorti toutes mes cartes, c’est pour cela que je l’ai appelé Stone Rollin, si tu ne peux pas miser sur quelque chose, alors mise sur toi. C’est ce que j’ai fait. L’album me représente à 200%, c’est moi et tout ce que j’aime dans la vie, comme dans la musique.
De tes débuts à aujourd’hui, tu as collaboré avec tellement de monde : Marcus Miller, Q-Tip, Mary J Blige, Joss Stone, D’Angelo… Tu as récemment partagé la scène avec Mick Jagger, aux Grammy Awards… Reste-t-il encore une personne avec qui tu rêves de travailler ? Oui, Bill Withers. Je suis amoureux de sa voix et très admiratif de son travail. C’est un auteur/compositeur incroyable. Ce serait un honneur de faire quelque chose avec ce grand artiste.
Bonne réponse (rires). Tu donnes ce soir un nouveau concert à Paris, j’imagine que tu es impatient… Comment choisis-tu les chansons que tu interprètes sur scène ? Oui, impatient ! Tu sais, je suis un amoureux de Paris, j’adore m’y produire et j’essaie d’y venir le plus souvent possible. Sinon, pour te répondre, j’ai un set de chansons préparé à l’avance pour mes tournées. C’est plus ou moins le même pour chaque date. Puis selon le public, la ville, je le modifie… Je peux improviser des trucs selon la participation du public, l’ambiance et la réactivité. Dans mon set, il y a une ligne commune à tous mes concerts mais je l’adapte selon l’audience, je rajoute, j’enlève, je change l’ordre. Aucun concert ne se ressemble vraiment, il n’y a pas de règles.
Merci beaucoup pour cette interview Raphael et bon concert ce soir ! Merci, tout le plaisir est pour moi !
A noter : Raphael Saadiq investira l’Olympia pour un concert unique le 27 Octobre 2011.
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“The Way I See it”, plus vieux de 2/3 ans que “Back to Black” sorti en 2006 ? C’est à dire au moment de “Ray Ray”… Je me rappelle d’une news que j’avais rédigé avant la sortie de “TWISI” où Raphael évoquait la certitude de partir dans cette direction, je ne remets pas en doute toutes ses influences, je dis dommage qu’il n’ait pas sorti son projet au moment où il en avait l’envie, dommage que ça tombe au moment d’une “mode”… Surement une pression des labels… et aussi d’un public trop dépendant de ce que les medias et majors proposent… ça bride l’artistique…